Le Haut comité a tenu sa 69e réunion plénière le vendredi 21 juin 2024 consacrée, en grande partie, au sujet de l’adaptation au changement climatique

Introduction
Le 21 juin 2024, les membres du Haut comité pour la transparence et la sécurité nucléaire (HCTISN) se sont réunis pour la 69e réunion plénière afin d’échanger sur des points d’actualités et, plus principalement, sur les questions inhérentes à la résilience de notre parc nucléaire face au changement climatique. Ce dernier entraîne une augmentation des températures et de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes impactant la sûreté des équipements, les salariés, l’équilibre offre-demande d’électricité et la disponibilité de l’eau pour tous.
L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a introduit la session en exposant les enjeux climatiques et leur impact sur la sûreté. EDF, Framatome et Orano ont ensuite présenté leurs politiques pour leurs installations. L’ASN a partagé les leçons tirées de l’été 2022, marqué par une canicule et un contexte énergétique particulier pour aborder les défis à long termes. Enfin, la Cour des comptes a présenté son rapport sur l’adaptation des réacteurs nucléaires au changement climatique.
Pour conclure, un spécialiste du climat et des questions énergétiques, Philippe Dobrinski, a apporté ses observations en tant que “grand témoin”.

IRSN
L’IRSN a rappelé que le sujet du changement climatique a été pris en compte depuis la construction des premières centrales nucléaires. Au gré des retours d’expérience, les référentiels de sûreté se sont durcis. Les agressions naturelles comme les inondations, grands froids et canicules sont davantage prises en compte bien que la caractérisation de ces aléas reste complexe.
Par exemple, à la suite des incidents sur la centrale de Fukushima, EDF a développé des moyens d’accès spécifiques au site et des bases de vie autonomes pour le personnel.
Aussi, le choix des sites d’implantation des futures centrales s’inscrit dans une réflexion systémique : il s’agit de considérer à la fois des éléments liés au changement climatique mais également aux politiques, aux besoins et aux infrastructures existantes… Il est davantage question d’adapter le design de l’installation à tous ces éléments.
Le parc nucléaire français est adaptable ce qui lui permet de s’effacer en cas de production électrique plus abondante d’énergies renouvelables. Le nucléaire intervient alors comme un soutien au réseau. Cela est une particularité française. Il s’agit alors de s’interroger sur l’impact de la modularité du nucléaire sur la sûreté des installations. Il y a donc un suivi spécifique qui est mis en place pour suivre des éventuels effets de cette modularité. A ce jour, aucune atteinte particulière n’est signalée.

Lien vers la présentation de l’IRSN : http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/1__hct...

EDF – Framatome – Orano
- L’analyse du risque physique
Les acteurs se sont accordés unanimement sur la nécessité d’adaptation des installations nucléaires afin de faire face aux effets du changement climatique. Il s’agit dans un premier temps d’évaluer les aléas climatiques afin de mesurer l’exposition des infrastructures à ces aléas : établir leur vulnérabilité.
Le risque principal du changement climatique pour les installations est la baisse significative de la ressource en eau. Les différents acteurs ont ainsi réfléchi à des plans de sobriété en complément du plan eau national tout en réfléchissant à des moyens permettant de maintenir la qualité de l’eau. Concrètement, les exploitants envisagent des actions de bon sens telles que la réduction des pertes, la transformation des circuits ouverts ou fermés, l’augmentation de la résilience via les réservoirs d’entreposage…
Le changement climatique est également responsable de l’augmentation de la température moyenne et du niveau marin. Pour cela, des technologies sont développées permettant l’adaptation : rehaussement des digues, augmentation des capacités de refroidissement, etc.
- L’approche systémique
Pour compléter l’étude des risques physiques, les industriels ont adopté une approche systémique : étudier les vulnérabilités qui ne relèvent pas strictement de l’exploitant mais lui permettent d’opérer dans les meilleures conditions.
A titre d’exemple, EDF tente de mettre en place des solutions fondées sur la nature comme la plantation d’espèces locales pour recréer des zones humides en amont des retenues d’eau.

Lien vers la présentation EDF/Framatome : http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/2__edf...
Lien vers la présentation Orano : http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/3._ora...

ASN
Lors de son intervention, l’ASN est revenue sur le retour d’expérience de l’été 2022. Pour la première fois depuis 2003, deux types de dérogations ont été accordés : des dérogations thermiques et des dérogations de rejets d’effluents liquides. Cela traduit les limites de l’encadrement actuel. Avec la perspective du changement climatique, un recours plus fréquent à ce système dérogatoire ne saurait être une solution satisfaisante sur le long terme.
Lors des examens de sûreté une attention particulière est portée sur les agressions en liens avec le changement climatique. Par exemple, l’ASN travaille avec d’autres services de l’Etat s’agissant de l’eau en participant à la rédaction du rapport relatif à l’article 30 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes et au Plan eau du gouvernement. Il y a ainsi une prise en compte accrue des sujets liés au changement climatique dans les inspections sur le thème “environnement”.
Enfin, s’agissant des enjeux à long terme, il existe des incertitudes croissantes quant à l’ampleur et les effets du changement climatique. L’ASN identifie des effets du changement climatique pouvant affecter le fonctionnement des réacteurs et tente de prendre en compte les effets cumulés sur un même cours d’eau par exemple.

Lien vers la présentation ASN : http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/4._cha...

Cour des comptes
La Cour des comptes a présenté son rapport 2023 sur l’adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires, mis à jour en 2024.
La Cour a noté ainsi que l’ensemble des exploitants se basent sur les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour déterminer leurs politiques à long terme de l’adaptation des centrales. Ces modèles restent cependant peu adaptés pour apprécier le changement climatique et ses effets à courts termes. L’enjeu principal des acteurs du secteur reste la gestion de la ressource en eau.
Les enjeux d’adaptation sont appréhendés par l’Etat et les industriels. La Cour a souligné la nécessité d’une approche plus intégrée et territorialisée (systémique) de l’ensemble des acteurs de la filière.
La Cour a pointé un manque dans l’évaluation du coût d’adaptation qui n’est pas encore pleinement mesuré chez les industriels. Par exemple, EDF ne comptabilise par séparément ses investissements liés à l’adaptation au changement climatique.
Aussi, la Cour a rappelé la nécessité de mieux appréhender la contrainte hydrique qui pèse sur la filière. La diminution de la ressource en eau aura un impact sur la disponibilité du parc nucléaire ce qui implique une diminution de la production, de la rentabilité des installations. La Cour projette ainsi une possible multiplication par un facteur de 3 à 4 des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050.

Lien vers la présentation Cour des comptes : http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/5._cou...

Philippe Drobinski, Grand témoin
Philippe Drobinski a indiqué qu’aujourd’hui, on sait avec certitude que le changement climatique résulte des activités humaines et ses émissions de GES (gaz à effet de serre) et de particules, entraînant une augmentation moyenne de +1,1° C. À l’échelle mondiale, la limite de 2° C est cruciale. En effet, sachant que les océans se réchauffent moins que les continents, c’est une augmentation de 4°C qui est prévue en France métropolitaine et davantage dans les zones polaires.
Les événements météorologiques extrêmes, comme les vagues de chaleur et les précipitations intenses augmentent en fréquence et en intensité en raison des activités humaines. Cette augmentation est particulièrement visible dans les climats méditerranéens pour les sécheresses.
Les conditions (température, précipitations) des prochaines décennies sont prévisibles en raison des concentrations actuelles de CO2, conformant les projections établies depuis 40 ans. En revanche, l’accélération actuelle du changement climatique est sujette à débat.
Aussi, notre capacité à documenter et à modéliser les événements extrêmes est entravée par leur rareté, remettant en question notre capacité à les évaluer et d’agir en conséquence.
Les impacts cumulés en cascades et les points de bascule dus au changement climatique restent difficiles à déterminer précisément. Ces phénomènes complexes affectent les installations nucléaires à trois échelles : locale, territoriale et national et international, nécessitant une gestion adaptative des risques. La vulnérabilité physique des centrales nucléaires est bien maîtrisée, mais un changement climatique accru pourrait poser des défis inattendus pour les acteurs de la filière, principalement concernant nos capacités techniques et en termes de coûts.
Il existe de nombreuses interactions entre les installations et leur environnement plus ou moins proche, posant des questions complexes telles que l’approvisionnement en eau, crucial pour l’agriculture et l’industrie, ainsi que pour la potabilité.
Le système électrique est également impacté, avec une électrification croissante des usages introduisant une variabilité de la demande, notamment en été, période de vulnérabilité accrue des centrales.
En conclusion, malgré une bonne identification des défis, des lacunes subsistent notamment en matière de gestion de l’eau et de sobriété énergétique. L’adaptation nécessite de prévoir des modifications à l’ensemble des échelons. Cela implique une coopération accrue entre les différents acteurs qui peut être est difficile notamment lorsque la focale est élargie.